Faut-il s’en inquiéter?
Olivier est dans le vestiaire, après son match de hockey. Il reçoit un texto de son ami Antoine. « Regarde ça, c’est les seins de Catherine ». Il s’exclame, ce qui attire l’attention de son voisin de casier : « Ouin Oli, c’est ta blonde qui t’envoie ça ? » Olivier rougit, dément et finit par dire que ce sont les boules de Catherine. Cette fois, c’est l’équipe au complet qui vient voir. C’est une belle fille la Catherine, mais même si ce n’était pas le cas. « Envoie-moi la photo, c’est juste pour moi, promis ».
Chaque jour, les jeunes sont confrontés à ce genre de situation. Ce qui, hier, n’était qu’un jeu d’exploration entre amis prend aujourd’hui des proportions inquiétantes.
Internet et les médias sociaux se sont immiscés dans la vie de nos jeunes sans que nous n’y prenions garde. Les paramètres de la confidentialité ont changé et il importe que nous éduquions nos enfants à la prudence. Désormais, il ne s’agit que d’un clic pour atteindre à la réputation d’une personne. Les jeunes, avides de nouvelles expériences et de reconnaissance, ne sont souvent pas outillés pour prendre de bonnes décisions en la matière. Souvent inconscients de la portée de leur geste, ils publient et partagent sans penser aux conséquences et peuvent s’en mordre les doigts pendant longtemps.
15 % des jeunes de 15 à 34 ans disent avoir subi de la cyberintimidation ou du cyberharcèlement au cours des 5 dernières années[i]. Aidée par la médiatisation de certaines situations menées devant les tribunaux, la notion d’atteinte à la vie privée fait tranquillement son chemin dans les écoles secondaires par l’intermédiaire des intervenants sociaux qui sensibilisent les adolescents aux limites à ne pas franchir.
Parallèlement à ce phénomène social, les spécialistes observent également une hausse marquée des troubles du comportement sexuel chez les jeunes. Internet n’est pas le seul facteur en cause, mais son influence contribue certainement à l’évolution du comportement sexuel des adolescents.
Internet omniprésent dans la vie de nos jeunes : des chiffres qui en disent long
Depuis sa création dans les années 1980, la popularité d’Internet a crû de façon fulgurante.
« Entre 2001 et 2018, le nombre de foyers canadiens branchés à Internet est passé de 79 % à 96 %. » [i]
Les jeunes de 15 à 24 ans sont plus branchés que toute autre génération. En effet, selon une étude publiée par Statistiques Canada[ii], « près de 100 % des jeunes de 15 à 24 ans utilisent Internet chaque jour et possèdent leur téléphone intelligent – une situation sensiblement la même dans toutes les provinces et toutes les tranches de revenu des ménages ».
Qu’on le veuille ou non, le numérique a complètement transformé le rapport à la sexualité des adolescents.
Pourquoi le numérique a transformé le rapport à la sexualité des adolescents
1ière raison : Internet illimité = contenu sexuel illimité pour les adolescents !
La plupart des adolescents possèdent un téléphone intelligent, une tablette ou un ordinateur. Avec ces outils à portée de main et peu ou pas de limites pour les utiliser, ils ont accès à une multitude d’informations portant sur la sexualité. Libre à eux de faire leur propre éducation sexuelle ! Sans parler de la facilité à consommer de la pornographie. En insérant simplement quelques mots-clés, ils ont ainsi accès à de la pornographie juvénile, à de la pornographie habituellement réservée aux adultes, à des comportements sexuels hors normes, tels que la zoophilie ou le sadomasochisme.
On pourrait croire qu’il est sain pour un jeune de pouvoir se renseigner et expérimenter sans gêne. Or, dans bien des cas, cet accès facile à du matériel sexuel de provenance inconnue constitue une exposition prématurée à la sexualité.
2iéme raison : Pour les jeunes, les réseaux sociaux offrent la possibilité de tout partager, à portée de mains…
Les réseaux sociaux sont le principal outil de communication des adolescents:
Messenger
Snapchat
YouTube
À cela s’ajoutent les messages texte, communément appelés « texto ».
Les différentes plateformes de médias sociaux permettent la création et la publication de contenu. Elles simplifient aussi le partage d’information, de photos ou de vidéos entre amis, mais également avec toute autre personne dans le monde.
Attention ! Les réseaux sociaux sont des outils formidables, mais à doubles tranchants, car ils fragilisent la frontière entre vie privée et vie publique. Par l’intermédiaire de ces plateformes, les adolescents ont tendance à partager avec leurs amis des photos ou des vidéos de nature personnelle impliquant d’autres personnes. Ce geste peut leur paraître banal, mais il est souvent lourd de conséquences. À vitesse grand V, la nouvelle se répand, des images circulent dans le cercle d’amis, dans l’école ou même dans le monde et demeurent sur le Web pendant plusieurs années.
Le même principe s’applique aux messages texte et aux webcams qui sont autant de moyens pour diffuser à grande échelle des images à contenu sexuel.
3ième raison : Sur Internet, l’ado peut consommer, échanger ou produire du matériel pornographique sans discernement
Ce faisant, ils deviennent des proies faciles, tant comme victime que comme bourreau.
Il est bien loin le temps où les jeunes se réunissaient dans la cour d’école pour feuilleter un Playboy et visualiser des images de femmes nues. De nos jours, cette pratique a disparu. La rareté a fait place à l’abondance. Les jeunes utilisent les multiples sites Web pour s’informer sur la sexualité ou encore pour trouver du matériel leur permettant d’alimenter leurs fantasmes masturbatoires.
Aucun mode d’emploi n’est requis, sinon que la connaissance d’Internet et des réseaux de partage. Du bout des doigts, les adolescents peuvent facilement échanger, produire et distribuer du matériel pornographique, et ce, sans savoir si ce qu’ils partagent est légal ou non, associé à un comportement déviant ou non.
Les professionnels de la santé remarquent une hausse des problèmes de comportement sexuel abusif chez les jeunes
Cela ne signifie pas que tous les adolescents qui consomment de la pornographie ont un problème, loin de là ! Néanmoins, Internet est un vaste monde pour ceux qui croient savoir naviguer, mais en ont encore beaucoup à apprendre. Il arrive que certains jeunes ne fassent pas la différence entre le virtuel et la réalité et commettent un crime. On dit alors du jeune qu’il a un trouble du comportement sexuel. Le geste commis peut être virtuel, comme un partage de photos de pornographie juvénile, ou perpétré dans la réalité, auprès d’une personne de l’entourage par exemple. Tout geste sexuel, virtuel ou non, est passible de sanctions judiciaires.
Néanmoins, avoir un trouble du comportement sexuel ne signifie pas nécessairement qu’il y a une agression sexuelle au sens propre
« Les troubles du comportement sexuel font partie de la grande catégorie des troubles des conduites. Ce qui les distingue, c’est le fait que le passage à l’acte est de nature sexuelle. » [i]
Parmi les troubles des conduites, on retrouve notamment le vol, le vandalisme et la consommation de substances illicites. Selon le DSM-V, une personne présente un trouble de cette nature lorsqu’elle a des conduites répétitives et persistantes dans lesquelles sont bafoués les droits fondamentaux d’autrui ou les normes et règles sociales correspondant à l’âge du sujet.
L’agression sexuelle | Définition
Un geste à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, commis par un individu sans le consentement de la personne visée ou, dans certains cas, notamment dans celui des enfants, par une manipulation affective ou par chantage.
Il s’agit d’un acte visant à assujettir une autre personne à ses propres désirs par un abus de pouvoir, par l’utilisation de la force ou de la contrainte, ou sous la menace implicite ou explicite. Une agression sexuelle porte atteinte aux droits fondamentaux notamment, et à l’intégrité physique, psychologique et à la sécurité des personnes. [i]
C’est donc habituellement la juxtaposition des pulsions sexuelles et agressives qui expliquent les passages à l’acte de nature sexuelle.
Comment expliquer cette hausse des troubles de comportement sexuel chez les adolescents
Le numérique
Comme mentionné précédemment, le numérique n’est pas le seul facteur en cause dans l’apparition de troubles de comportement sexuel chez les jeunes.
Toutefois, il contribue certainement à en augmenter la fréquence pour les raisons suivantes :
accès facile à la pornographie sans filtre et sans contextualisation
exposition prématurée à la sexualité
méconnaissance des règles de respect de la vie privée
besoin de s’informer sur la sexualité ou d’avoir des réponses à des questions personnelles
Le manque d’éducation sexuelle
Les jeux sexuels de découverte se produisent habituellement durant l’enfance, vers l’âge de 5 ou 6 ans. Survient ensuite la période dite de latence durant laquelle le jeune, ayant compris la différence entre les garçons et les filles, ne démontrera que très peu d’intérêt pour la sexualité, et ce, jusqu’à l’adolescence. C’est avec l’arrivée de la puberté que de nouvelles questions surgissent habituellement.
Le milieu scolaire ayant délaissé l’enseignement des programmes d’éducation à la sexualité et des programmes de prévention pendant plusieurs années, les adolescents se sont retrouvés sans sources d’informations fiables. Il est donc normal qu’ils se soient tournés vers Internet pour s’informer ou expérimenter certaines choses. Or, un jeune laissé à lui-même peut se rendre loin avant de comprendre que ce qu’il fait est immoral ou illégal.
Quels sont les facteurs pouvant mener à un trouble du comportement sexuel chez l’adolescent ?
Différents facteurs peuvent mener un jeune à poser des gestes sexuels problématiques. D’être prédisposé à développer un trouble du comportement ne signifie pas nécessairement qu’un jeune agira comme tel. Toutefois, il importe de regarder les choses en face et de ne pas banaliser ou minimiser les gestes commis en prétendant qu’il s’agit d’une simple phase d’exploration.
Exposé de façon prématurée à la sexualité
Certains jeunes sont confrontés très tôt à la sexualité en raison par exemple :
du visionnement de contenu pornographique destiné aux adultes
d’agressions sexuelles qu’ils ont subies
de comportements sexuels de la part d’adultes de l’entourage desquels ils ont été témoins
Quelle qu’en soit la raison, une exposition prématurée à la sexualité peut générer de l’anxiété, de la honte, de la culpabilité ou de la confusion chez un jeune. Ce malaise face à la sexualité pourrait le mener à poser des gestes sexuels inappropriés pour contrer ces émotions négatives.
Vécu prédisposant
Bien que les adolescents qui deviennent des agresseurs sexuels n’aient pas de profil type défini, il est possible de faire des liens entre certains événements vécus et la manifestation de comportements sexuels déviants. Par exemple :
Un jeune vivant dans une famille avec des histoires d’abus pourrait vouloir reproduire le modèle (transmission transgénérationnelle)
Un jeune provenant d’un milieu familial dysfonctionnel, dont les parents sont absents ou inadéquats, pourrait poser des gestes répréhensibles pour attirer l’attention
Un jeune ayant été isolé pourrait avoir une propension à se retrouver avec des plus jeunes pour combler ses besoins d’attention, d’affection ou ses besoins sexuels
Un jeune ayant subi de la violence (physique, psychologique ou sexuelle) pourrait être porté à reproduire cette violence sur autrui
Un jeune qui vit des difficultés scolaires, qui est victime d’intimidation de la part de ses pairs ou dont l’estime de soi est précaire pourrait avoir un comportement sexuel fautif pour se venger
Facteurs extérieurs
Des facteurs sans lien direct avec la sexualité peuvent également conduire un jeune à poser des gestes sexuels répréhensibles. Parmi ceux-ci, on compte le besoin :
de gérer la colère
de démontrer de l’affection
de contrer l’isolement
de satisfaire la curiosité
Trouble sexuel ou simple phase exploratoire : Quand faut-il s’inquiéter et intervenir ?
Comme expliqué précédemment, plusieurs facteurs peuvent être en cause dans l’étiologie des troubles de comportement sexuel.
Un jeune peut être considéré comme à risque et ne jamais poser de geste sexuel problématique. À l’inverse, un jeune qui n’a aucun facteur prédisposant peut commettre un délit, agresser une personne ou en abuser.
Il faut donc user de prudence lorsqu’il est question de définir un adolescent agresseur sexuel.
Le meilleur conseil est donc d’agir rapidement si l’on soupçonne un jeune d’avoir un comportement inapproprié :
en partageant des images ou des informations à caractère personnel
sur une autre personne directement
en consommant de la pornographie illégale
D’autre part, les troubles de comportement sexuel qui apparaissent à l’adolescence peuvent se résorber avant l’âge adulte, car des changements importants sont à l’œuvre dans le processus de maturation du jeune. D’ailleurs, selon le DSM-V, aucun diagnostic de paraphilie (comportement qui tend à rechercher, de façon préférentielle et répétitive, le plaisir sexuel dans des objets, des rituels ou des situations atypiques) ne peut être émis avant l’âge de 18 ans. C’est d’ailleurs pourquoi Tardif et al. considèrent que le terme « adolescents auteurs d’abus sexuels » est de mise pour distinguer ces jeunes afin d’éviter de les réduire à leurs comportements problématiques.
La distinction vient du fait que pour l’adolescent, il ne s’agit pas d’un mode préférentiel pour obtenir une satisfaction sexuelle. L’adolescent est habituellement opportuniste dans le choix de sa victime. Pour sa part, l’adulte a souvent une préférence quant au sexe et à l’âge de sa future victime et la choisit parce qu’elle répond à ses critères.
Quoi faire si un jeune a eu un comportement sexuel abusif envers quelqu’un d’autre
Lorsque nous sommes placés devant une situation où un jeune a adopté des comportements sexuels abusifs, il est essentiel de lui venir en aide, mais aussi d’aider la victime.
Cadre légal
Les enfants âgés de moins de 12 ans font l’objet de dispositions spécifiques du point de vue de la responsabilité, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être poursuivis au criminel. Ils sont plutôt pris en charge par la Loi de la protection de la jeunesse.
Les adolescents quant à eux, peuvent relever des 2 lois, soit la Loi de la protection de la jeunesse et la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents.
Aider la victime
Pour aider la victime mineure, il faut avoir recours aux services de la Direction de la protection de la jeunesse. Celle-ci intervient à la suite d’un signalement, si la sécurité ou le développement de l’enfant sont compromis.
Les victimes peuvent également être dirigées vers les centres d’aides aux victimes d’actes criminels (CAVAC) afin d’être accompagnées dans leur démarche ou de recevoir un soutien psychosocial.
Aider l’agresseur
L’agresseur peut être traité dans le système public ou dans le système privé, selon sa situation.
Déterminer le risque de récidive
Avant de débuter un traitement psychologique, il importe de faire une évaluation exhaustive de la situation du jeune. Elle permet d’identifier les facteurs étiologiques en cause et d’établir un pronostic quant aux risques de récidive. L’objectif de cette évaluation est d’éviter que d’autres gestes de même nature soient commis. Ainsi, lors de son évaluation, le sexologue couvre toutes les sphères de la vie du jeune.
Après avoir complété son évaluation, le sexologue sera en mesure de déterminer quels sont les facteurs de risque mis en cause. Ce faisant, il pourra établir un plan d’intervention personnalisé.
La Chambre de la jeunesse exige habituellement un rapport d’évaluation sexologique incluant :
une description de tous les aspects considérés dans l’évaluation
les impressions diagnostiques du sexologue évaluateur
l’évaluation des risques de récidive
Traiter l’adolescent malgré lui
Il importe évidemment que l’agresseur soit traité, et ce, même s’il est en désaccord avec le suivi proposé. L’expérience démontre en effet que les adolescents agresseurs sexuels ne sont pas une clientèle volontaire. Il est donc primordial pour le thérapeute de réussir à créer une alliance thérapeutique avec le jeune afin d’obtenir sa collaboration. Ce manque d’implication découle le plus souvent d’un sentiment de honte et de culpabilité en lien avec le dévoilement des gestes faisant l’objet de l’évaluation et du traitement.
Une bonne façon de procéder est d’expliquer au jeune :
que ce type de comportement n’apparaît pas sans raison
qu’il y a plusieurs facteurs de risque en cause qui lui sont propres
que ce sont sur ces facteurs de risque que la thérapie portera afin d’éviter une récidive.
La thérapie peut durer quelques mois, selon les objectifs fixés.
En conclusion : Principaux faits à retenir sur la délinquance sexuelle chez les adolescents
L’avènement des réseaux sociaux a grandement contribué à l’élargissement des contacts entre individus
Le numérique a complètement transformé le rapport à la sexualité chez les jeunes
L’accès facile à Internet a mené les jeunes à recevoir de l’information sur la sexualité
Internet peut parfois être utilisé dans le but de commettre divers délits qu’ils soient sexuels ou non
Ce n’est pas parce qu’un jeune consomme de la pornographie qu’il commet des délits sexuels
Il importe que le jeune reçoive des services en lien avec sa condition afin de diminuer les risques de récidive
L’exposition prématurée à de la sexualité peut engendrer de l’anxiété, de la honte ou de la culpabilité
Une évaluation exhaustive est requise pour déterminer les facteurs en cause ayant mené au passage à l’acte de nature sexuel
On ne peut parler d’une paraphilie chez un jeune âgé de moins de 18 ans
Aucun facteur ne permet de prédire qu’un jeune commettra des gestes sexuels abusifs
Dans le cas d’une agression sexuelle commise par un adolescent, il est de notre devoir de faire un signalement à la direction de la protection de la jeunesse afin que la victime ainsi que l’agresseur reçoivent les services appropriés
Références :
- Source : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-631-x/11-631-x2018001-fra.htm
- Source : Phase II de l’étude du Réseau Éducation-Médias (2005) et données publiées par le CEFRIO. Malheureusement, suite à la fermeture du CEFRIO, la documentation n’est plus accessible.
- Source : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-631-x/11-631-x2018001-fra.htm
- Tardif et al. (2012)
- (MSSS, 2001, p. 22)