Il peut arriver qu’un adolescent, un enfant, ou même un nourrisson soit amené à vivre une situation de deuil. On sait que chez l’adulte, le deuil se déroule selon 5 étapes.
Les 5 étapes du deuil chez l’adulte:
Le choc et le déni (je n’y crois pas / je ne veux pas y croire / ce n’est pas possible)
La colère (ce n’est pas juste / c’est à cause de…)
Le marchandage (et si j’avais fait cela / si tel élément avait été différent)
La tristesse (je souffre de l’absence de cette personne)
L’acceptation (j’accepte le fait qu’elle ne soit plus là)
Ce modèle ne peut être transposé chez les enfants car leur perception du monde et la connaissance de notions comme la mort diffère des nôtres.
Que se passe-t-il alors? Faut-il en parler?
La situation de deuil pour un enfant ne doit pas être passée sous silence car elle peut être lourde de conséquences: une étude révèle que 40% des enfants ayant perdu un parent développent une dépression majeure, le pourcentage est encore plus fort si l’enfant est âgé de moins de 11 ans. Un lien a aussi été fait entre les dépendances (addiction à l’alcool et/ou aux drogues) et la fréquence des deuils vécus durant l’enfance.
Accompagner un enfant dans son deuil s’avère donc déterminant et pour ce faire, il est nécessaire d’avoir une idée de la manière dont il comprend la notion de mort et peut vivre son deuil.
Comment l’enfant appréhende-t-il la notion de mort?
La manière dont un enfant vit le deuil est influencée par plusieurs éléments :
son âge
le lien qu’il entretenait avec la personne décédée
sa culture
son niveau de connaissance
les personnes qui l’entourent
etc.
L’âge apparaît comme l’élément principal venant conditionner le vécu d’un deuil. Le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec propose un document (voir la rubrique « Pour aller plus loin sur le même sujet ») dans lequel on peut avoir un aperçu du ressenti et de la pensée d’un enfant en fonction de son âge.
La façon dont l’enfant vit le deuil varie selon son âge
Un nouveau né peut vivre un deuil non pas en ayant conscience de la disparition définitive d’un proche mais en ressentant l’absence corporelle de la personne qui s’occupe habituellement de lui. Avant l’âge de 2 ans, un enfant peut vivre l’effet du deuil au travers des émotions que ressentent ses parents (choc, colère, tristesse).
Entre 9 et 11 ans, le notion d’irréversibilité de la mort est comprise. L’enfant est à même de comprendre l’effet du deuil sur ses proches et adopter une posture protectrice (ne pas pleurer, réconforter les autres). La pensée magique est toujours présente et peut donner lieu à un sentiment de culpabilité.
De 6 à 8 ans, l’aspect définitif de la mort commence à être compris et un certain nombre de connaissance sont apprises. L’enfant peut alors se questionner sur la logique qui entoure la mort: Qui peut mourir? Pour quelles raisons? Que se passe-t-il après la mort? Que devient-on? En fonction des réponses à ces questions, l’enfant va construire son propre raisonnement et déduire des conclusions plus ou moins angoissantes (la voisine qui a le même âge que ma mère est morte, cela veut dire que ma mère peut mourir).
Entre 3 et 5 ans, la notion de mort renvoie à la séparation mais son caractère définitif n’est pas encore compris. A ce moment, des raisonnements fondés sur la pensée magique (ou sentiment de toute-puissance) peuvent apparaître. La pensée magique renvoie au fait que l’enfant pense que ces actions peuvent générer certaines conséquences qui ne trouvent pas de fondement rationnel pour les adultes (grand-maman est morte parce que j’ai été méchant / si je suis gentil, grand-maman ne sera plus morte).
À l’adolescence, de nombreux questionnements peuvent apparaître : Quelle justice y a-t-il? Quelle logique? Quel sens donner à la vie, si elle peut finir si brutalement?
Il est clair que tout au long de son développement, un enfant va appréhender un décès de différentes manières, dépendamment de son âge, ses connaissances, raisonnements et logiques. Cependant l’effet ne se limite pas à la vision que l’enfant a, un décès peut aussi donner lieu à des comportements pouvant devenir problématiques.
Conséquences du deuil sur le comportement de l’enfant
Vivre un deuil est une étape difficile pour un adulte, alors qu’il possède les connaissances et les outils pour y faire face. Nous avons eu un aperçu de la manière dont les enfants peuvent concevoir la notion de mort et ce qu’elle implique. Il en découle parfois un sentiment d’abandon, de culpabilité ou encore d’angoisse. La psychologue Murielle Jacquet-Smailovic fait état de quelques comportements pouvant faire suite à une situation de deuil chez l’enfant.
9 comportements observés chez l’enfant vivant le deuil d’un être proche
1 | La dépendance anxieuse
C’est un attachement excessif à l’autre. L’enfant vit dans la crainte d’être séparé, de voir à nouveau disparaître ses proches et ne supporte pas de se retrouver seul. La peur d’être enlevé, perdu ou victime d’un accident peut être présente.
2 | La colère
Elle peut être liée à un ressentiment du fait d’avoir été mis à l’écart du processus de deuil (funérailles), ou du fait qu’il ne tolère plus la séparation. La réponse parentale est bien souvent la punition, ce qui peut alimenter le sentiment d’abandon.
3 | L’hyperactivité
L’enfant ne manifeste pas de chagrin mais s’exprime en effectuant des tâches nombreuses et incomplètes. Cela peut être renforcé par le refus des signes extérieurs de tristesse par les proches.
4 | Les troubles du sommeil
L’obscurité est propice à l’angoisse de mort, d’autant plus qu’un lien entre la mort et le sommeil peut être fait (« grand-papa fait dodo pour toujours »). Les cauchemars à répétition peuvent aussi être présents.
5 | L’identification au défunt
L’enfant présente les mêmes troubles que ceux de la personne décédée. Ce serait un moyen de maintenir la présence du défunt à travers lui et résulterait d’un mécanisme de culpabilisation.
6 | Les plaintes somatiques (douleurs corporelles)
L’enfant se plaint de douleur sans fondements. Cela serait une manière d’exprimer sa souffrance autrement, notamment quand l’expression du chagrin n’est pas tolérée par les proches.
7 | La dépression
Elle peut découler d’un sentiment de culpabilité. L’enfant a le sentiment durable d’être triste, n’a plus d’appétit, est très souvent fatigué, etc.
8 | Les équivalents suicidaires
Un désir de mort peut se manifester en adoptant des conduites risquées (marcher au milieu de la route par exemple). Cela résulterait d’un désir d’échapper à un sentiment de culpabilité et d’un désir inconscient de retrouver la personne défunte.
9 | La compulsion à soigner
L’enfant vient en aide à son entourage. Motivé par des commentaires l’incitant à être gentil et s’occuper de son/ses parents, l’enfant prend un rôle de parent. Il tente de réparer les autres et de se réparer lui-même.
Certains de ces comportements peuvent perdurer avec le temps (notamment la dépression) et avoir un impact sur l’estime et la confiance en soi. La manière dont le décès est parlé, dont il est vécu dans la famille et l’entourage tient une grande importance dans l’apparition de tels comportement. En ce sens, l’accompagnement de l’enfant qui vit un deuil est déterminant.
Comment accompagner un enfant qui vit une situation de deuil?
Nous avons vu que l’enfant ne conçoit pas la mort comme un adulte le ferait, il ne va donc probablement pas avoir la même attitude que celle à laquelle on pourrait s’attendre (peine, tristesse). L’enfant va exprimer son deuil à sa manière et cela peut être déroutant.
Certains enfants ressentent un besoin d’attirer l’attention, d’autres se mettent en retrait ou encore prennent un rôle de parent protecteur. La pédo-psychiatre Françoise Glorion confie dans un témoignage qu’il arrive que les enfants qui perdent un/leurs parent(s) ne commencent pas par exprimer de la tristesse mais plutôt s’interroger sur la personne qui va s’occuper d’eux, ce qui peut paraître égoïste ou inapproprié pour un adulte. Elle formule les conseils suivants pour aider les adultes à accompagner un enfant vivant un deuil.
4 conseils pour accompagner un enfant dans le deuil
1 | Informez l’enfant du décès dans le délai le plus court.
Il est parfois plus simple de penser que l’enfant ne peut comprendre ces choses, mais il se rendra bien compte de ce qui lui est caché et risque alors de construire une logique autour du décès basée sur une pensée magique. Utilisez des mots simples et évitez la comparaison avec le sommeil, elle pourrait être mal interprétée.
2 | Questionnez l’enfant sur ce qu’il comprend de la situation.
Allez également au devant de la culpabilité même si elle n’est pas verbalisée (ce n’est pas de ta faute si grand-maman est décédée). L’enfant appréhende le monde à l’aide d’une pensée magique, qui lui donne l’impression que certains de ses actes ont un impact (démesuré / non rationnel) sur son environnement. Il pourrait vite penser que sa grand-maman est décédée parce qu’il n’a pas été gentil ou ne lui a pas obéit.
3 | Soyez vigilants aux changements de comportement.
Un enfant qui réalise qu’il peut perdre ses proches peut développer une peur de l’abandon, qui peut se traduire par une forte demande d’attention et de sécurisation. Un adolescent qui constate que la mort peut frapper n’importe qui, n’importe quand, peut être déstabilisé et remettre en question le sens qu’a sa propre vie.
4 | Soyez attentif à la réaction de l’entourage de l’enfant.
S’il s’agit de votre enfant, la manière dont vous vivez le deuil risque de conditionner la sienne (si vous parler ou non de vos ressentis, si vous parlez ou non du défunt). Il est important de laisser une place pour que chacun puisse s’exprimer, sans quoi les inquiétudes et logiques erronées seront intériorisées et pourront à l’avenir, générer des problématiques.
En conclusion
Un enfant a sa propre expérience du deuil et de sa signification. Elle peut être plus ou moins facile à repérer et à comprendre, il est donc déterminant de permettre à l’enfant de nommer ce qu’il ressent et ce qu’il pense.
Cependant, il est probable que vous-même étant affecté(e) par le décès d’un proche, vous ne soyez pas en mesure d’être disponible pour votre enfant ou que vous vous apercevez que quelques mois après un décès, que votre enfant change de comportement et développe des inquiétudes.
L’équipe de la Clinique de Psychologie Québec se propose de vous accompagner dans ces moments difficiles, et vous aider vous et/ou votre enfant à vivre cette période en vous donnant des outils et un endroit où s’exprimer, afin de limiter la survenue de problématiques qu’elle pourrait entraîner.
Références :
- Glorion, F. (2003) Accompagner l’enfant en deuil. Laennec, 2003/1, 51, 21-33.
- Murielle Jacquet-Smailovic, M. (2011) Les conséquences d’un deuil dans l’enfance à moyen et long terme. Revue internationale de soins palliatifs, 2011/1, 26, 16-21.
- Turnbull J-E. & Gomberg, E-S. (1990) The structure of depression in alcoholic women. Journal of Study of Alcohol, 1990, 51,148-155.
- Weller, R-A. & al. (1991) Depression in recent bereaved prepubertal children. Journal of Psychiatry, 1991, 148,1536-1540
- Le deuil chez l’enfant et l’adolescent, Prévenir et Agir
- Le deuil, document préparé par l’équipe PE-SPO du Service de psychologie et d’orientation de l’Université de Sherbrooke